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Chômeuse sur le divan
16 mai 2020

Une seconde famille

Tout tranchait avec « le grand journal » : les conditions matérielles bien sûr, mais aussi le fonctionnement. Je suis passée d’une organisation au carré à celle de « l’à peu près ». Pas de réunion de rédaction le matin mais une discussion au coin du bureau sur ce qu’il y avait à faire dans la journée. Les choses se décidaient au jour le jour, à l’avenant.

La seule richesse était humaine, la plus importante pour moi. Les relations étaient franches et simples. Je me suis vite sentie en famille. Mes nouveaux collègues ne faisaient pas particulièrement attention à leur manière de s’habiller, ils étaient du cru et formés sur le tas, comme moi. L’équipe se composait de cinq personnes : trois rédacteurs et deux secrétaires de rédaction.

Théo possédait un sens de l’humour incroyable. C’est avec lui que j’ai travaillé le premier jour, c’est lui aussi qui un an plus tard me laissera sa place pour se diriger vers la communication. Je lui dois mon premier CDI. Ce jeune papa n’avait pas le Bac mais une culture incroyable. Passionné de free jazz, il organisait un petit festival dans son village chaque été, en pleine campagne. Il roulait ses cigarettes et trouvait l’inspiration en les fumant assis sur le banc devant l’agence.

Jean-Pierre me paraissait plus froid. Ce quinquagénaire grand et sec vivait pour son petit journal. Il lui a sacrifié sa vie de famille. Il avait travaillé dans la restauration, dans la grande distribution, avait vendu des abonnements avant de noircir les colonnes de son canard préféré. Son teint clair, sa barbe et ses cheveux longs lui valurent le surnom du fils de Dieu dans sa jeunesse. Un sobriquet qu’il a gardé toute sa vie.

Pirouette, son Yorkshire, l’accompagnait parfois au bureau. L’animal dormait dans son « coucouche panier » aux pieds de son « papa ». Lorsque quelqu’un entrait dans l’agence, il se faisait un devoir d’aboyer pour protéger son maître. « Tais-toi chien de con !», lui assénait alors ce dernier. Une fois, énervé par les jappements, je l’ai vu attraper la bête et l’enfermer dans un tiroir... avant de le libérer deux minutes plus tard, pris par le remord. Choqué, le petit chien tremblait de tout son corps. « Qu’est-ce qu’il a le Titou ? », s’étonnait Jean-Pierre ! En son absence, le toutou restait muet. Il grimpait sur le vieux bureau et roupillait sur les tas de journaux. Je l’ai entendu ronfler...

 

pirouette

 

La cheffe d’agence approchait de la retraite. Je n’ai travaillé qu’une journée avec celle que l’on surnommait « la baronne ». En fait je la remplaçais.

Les SR avaient leurs propres horaires, l’un était du matin et l’autre du soir par alternance. Michèle était entrée au journal comme claviste, quasiment en même temps que Jean-Pierre, au début des années 80. Ses doigts agiles tapaient les articles et les brèves des correspondants « au kilomètre ». Elle aussi avait un chien mais il n’était pas assez docile pour la suivre à l’agence. Elle aimait chanter et selon son humeur entonnait un air d’Edith Piaf, de Dalida ou de Jean Ferrat, son idole, dont les moustaches s’affichaient fièrement sur le mur. Les blagues qu’elle racontait me faisaient pleurer de rire tout comme ses imitations.

Paul était un peu plus jeune que moi. C’était un vrai geek : épris d’informatique, de cinéma et de séries. Il aimait aussi le jazz ce qui le rapprochait de Théo. Avec Michèle, ils se complétaient parfaitement. Plus réservé que ses collègues, il me fallut un peu plus de temps pour le cerner et l’apprécier à sa juste valeur.

Aujourd’hui, ces gens me manquent terriblement...

 

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