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Chômeuse sur le divan
26 mai 2020

Il était un petit journal

Mon petit journal a été fondé sous l’Occupation, en 1943, dans ce que les Parisiens appellent « la diagonale du vide ». Il est né et s’est construit dans l’adversité sans faillir à sa ligne éditoriale, clairement à gauche. Il était diffusé sur cinq départements. Après avoir résisté aux Nazis, il a subi la censure pour avoir dénoncé les tortures pendant la guerre d’Algérie. Il a traversé maintes crises économiques et politiques. Ses rotatives ont brûlé dans les années 80 laissant penser à sa fin. Mais c’était sans compter sur la mobilisation des lecteurs, militants et soutiens de tous bords. Le Canard a survécu, de crise en crise, de souscription en souscription, à force de détermination.

 

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Les salariés ont dû tout surmonter, accepter des sacrifices. L’une de mes collègues entrée dans l’entreprise dans sa prime jeunesse s’était entendue dire : « tu verras, cela ne va pas durer bien longtemps ». Au final, elle y aura effectué toute sa carrière ! On ne m’a jamais caché la précarité du journal et à vrai dire je n’aurais jamais pensé y rester douze ans après la signature de mon CDI. Ni m’y plaire autant.

Mes premières années furent instructives. J’apprenais sans cesse, chaperonnée par Jean-Pierre. Il fut un mentor, un second père. Il me rassurait, moi qui doute sans cesse. Sa connaissance du territoire et de ceux qui y vivent demeure inégalable. « Demande au vieux ! » me disait-il souvent.

Les choses se sont gâtées en 2012. Nous avons eu un énième plan social, mais cette fois-ci la moitié des effectifs a dû partir. Ce fut un déchirement. Les plus âgés ont été priés de prendre leur retraite. Des départs volontaires ont été proposés à ceux qui souhaitaient changer de vie. Pour les autres ce fut l’application brute et froide de la loi. Chaque employé possédait un nombre de points qui tenait compte de son âge, sa situation familiale et son ancienneté dans l’entreprise. Ceux qui avaient le moins de points étaient assis sur un siège éjectable. Nous étions deux dans ce cas dans notre département.

Le mandataire judiciaire proposa à des journalistes du siège de muter dans les agences sur des postes occupés par des gens ayant moins de points qu’eux. Le sort passa tout près de moi mais tomba sur mon jeune collègue Manu, à qui l’on avait pourtant promis un temps plein à son embauche. Il dut céder sa place à une photographe reconvertie en rédactrice pour échapper au chômage. Nous avons réussi à le garder près de nous en lui proposant des piges. Trois ans plus tard, il signa un CDI à son grand soulagement (et au mien).

Jean-Pierre fut retraité malgré lui. Il continua à travailler pour son cher journal plus ou moins bénévolement. Gérard devint chef d’agence et nous dûmes nous habituer à travailler davantage. Faire autant (voire plus) avec moins tout en évitant le burn out… Vaste défi.

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Commentaires
A
Je découvre votre blog.<br /> <br /> L'histoire est très émouvante et attachante.
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Chômeuse sur le divan
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