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Chômeuse sur le divan
3 mai 2020

"Tu te démerdes !"

Cette agence était l’une des plus importantes de ce grand groupe de presse. Elle comptait un service publicité et avis d’obsèques, une batterie de secrétaires, plusieurs photographes, des rédacteurs sportifs, des secrétaires de rédaction (SR) et les rédacteurs de la locale dont je faisais partie. Nous disposions de véhicules de service avec le logo du journal, nous avions une grande cuisine avec un bar bien rempli (pour les apéros du soir, les pots d’arrivée et les pots de départ). Au rez-de-chaussée, une grande pièce était dédiée aux événements. J’avais mon propre bureau.

L’ambiance était très sympa, du moins de mon point de vue. Mais j’ai vite compris qu’il y avait des clans et qu’avec les uns et les autres, il valait mieux tenir sa langue. J’avais souvent l’impression de marcher sur des œufs. Il me semblait que les journalistes étaient en concurrence. Le matin chacun scrutait les articles des collègues et trouvait à y redire. Même chose avec les autres agences du département. Il y avait ceux d’ici et ceux de là-bas. Je savais que j’étais là pour un temps bien déterminé, aussi j’évitais de trop m’investir émotionnellement.

J’ai dû apprendre rapidement les bases. L’une des journalistes, qui avait débuté sur le tas comme moi, m’expliqua en quelques minutes ce qu’étaient une accroche, un titre, un chapo, un surtitre, un inter, mais aussi le système des colonnes, des signes. « Papier de tête, ventre, bas de page, deux cols, trois cols... », étaient des termes avec lesquels je devais me familiariser.

Je mettais un temps fou à écrire quelques phrases et les remarques acerbes du chef me stressaient plus qu’autre chose. Souvent lorsque l’article n’était pas pour le lendemain, je l’imprimais et le remaniais ou le terminais chez moi, au calme. De retour à l’agence, je le recopiais aussitôt pour être dans les délais. Les reportages se déroulaient en binôme et j’ai vite sympathisé avec les photographes. Leur présence me rassurait.

Pendant le premier mois, je n’ai fait que douter : de moi, de mon travail, de ce poste. Etais-je bien à ma place ? On ne me disait rien sur la qualité de mes articles. On ne me donnait que très peu de conseils, si ce n’était d’aérer mes phrases en usant de ponctuation. Parfois je me demandais « ce que je foutais là ».

Dans cette entreprise chacun était à sa place et accomplissait des tâches bien précises. Le rédacteur rédigeait, le photographe photographiait, les secrétaires s’occupaient du standard et des mails, les SR mettaient en page les textes des correspondants, le chef d’agence planifiait la parution des articles et programmait les rendez-vous. Bref, c’était une grosse machine bien huilée.

J’ai eu un moment d’angoisse en comprenant que mon rôle n’était que d’écrire. Je voulais me mettre à la photographie mais on m’a vite fait comprendre que ce n’était pas dans mes fonctions. J’ai réalisé aussi que je faisais partie de l’équipe mais pas de l’entreprise. J’étais assistante.

Je travaillais essentiellement les week-ends, je bouchais les trous. J’allais sur les reportages que les autres trouvaient ennuyeux ou pénibles, parfois tôt le matin ou tard le soir. Je m’en foutais, je prenais tout. J’aimais rencontrer les gens et découvrir les coulisses de la ville dans laquelle j’avais grandi.

Il fallut donc que je patiente un bon mois avant d’avoir les premiers retours sur mon travail. On m’avait confié la couverture d’un festival de cinéma. Je devais établir les sujets, suivre l’événement qui durait quatre jours. Cela me paraissait démesuré pour une débutante. Je suis allée trouver le chef dans son bureau, la boule au ventre, pour lui rappeler mon inexpérience. « Mais comment je vais faire ? », lui ai-je soufflé. Il a marqué une pause, a écrasé sa cigarette dans le cendrier, m’a regardé et m’a répondu : « tu te démerdes ! ».

Je me suis donc démerdée. On m’a montré les maquettes d’articles possibles puis on m’a orienté vers la chargée de communication du festival. C’est elle qui m’a aidé à y voir plus clair en me suggérant des sujets. Pendant presque une semaine, j’ai enchaîné les interviews avec les invités, les réalisateurs, les jeunes candidats au concours, les acteurs, les organisateurs. J’ai fait ce que j’ai pu. Cela a convenu puisque c’est à ce moment que j’ai eu des encouragements.

C’est là aussi que j’ai commencé à aimer ce métier.

 

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