Lutter pour ne pas couler
Jamais je n’aurais pensé une chose pareille : devoir rester chez soi pour échapper à un virus venu de Chine. Est-il le résultat d’une manipulation en laboratoire ou d’une zoonose issue d’un pangolin ou d’une chauve-souris ? Le saura-t-on un jour ? Etant à risque avec des problèmes pulmonaires, j’ai pris la chose très au sérieux. Même en février 2020 lorsque, depuis ma chambre d’hôpital, je suivais la progression de la pandémie sur les chaînes d’infos. « Bah ce n’est qu’une petite grippe, ils en font trop », m’avait lancé en riant un aide-soignant portant mon plateau-repas.
Au final, la grippette aura paralysé toute une planète. En mars, le temps s’est arrêté soudainement. Tout fut annulé. J’ai bien vécu ce premier confinement car dans mon esprit, il repoussait l’échéance de la recherche du travail et je n’étais pas encore tout à fait prête pour cela. Il fallait tourner définitivement la page du journal et accepter aussi de changer de métier. La presse est en crise et je ne veux plus vivre une situation de précarité ou subir à nouveau un licenciement économique. Ma santé mentale n’y survivrait pas.
Mes journées se sont écoulées paisiblement entre jardinage et broderie. J’avais besoin de créer quelque chose et de mettre les mains dans la terre pour cultiver la vie. J’ai gratté, arraché ce qui était mauvais, puis semé, surveillé, arrosé. Le potager m’obligeait à me lever.
Ce fut aussi le grand tri : habits, objets, papiers… les placards furent ouverts les uns après les autres et vidés. Les sacs poubelles remplis de vêtements se sont amoncelés dans le garage jusqu’à former un monticule. J’ai profité de ce moment hors du temps pour réfléchir à mon projet professionnel, pour réaliser un CV sur la plateforme Pôle Emploi et mettre mes idées au clair.
Quotidiennement, je publiais une story sur Instagram. J’y retrouvais mes réflexes : réfléchir à un sujet, le mettre en scène, planifier la parution. J’ai recommencé à écrire, jetant mes émotions sur papier, lui confiant ma peine, ma rage, mon désespoir, ma peur.
Mais le soir, au moment de m’endormir, j’avais l’impression de couler, de m’enfoncer lentement dans la mer. Là, tout au fond de l’eau, se trouvait le cercueil du journal. Je me voyais à ses côtés, suspendue et immobile dans les abysses, un peu comme cette scène dans le film « La leçon de piano »*.
Il me fallait remonter à la surface, lutter contre la mort. Car perdre son travail aussi brutalement revient à recevoir une balle en pleine tête. On meurt professionnellement, socialement. Une amie psychologue proposait des séances gratuites pendant cette période. J’acceptais sur le champ. Ses coups de fil du mardi après-midi ont rythmé mon confinement, je les attendais avec impatience. Ce n’était pas tout à fait une thérapie car nous nous connaissions, mais j’avais besoin de parler, de raconter ma peine et mon vécu au journal.
C’est elle qui m’a fait prendre conscience que le canard s’en était allé au bon moment. Il n’aurait pas survécu au Covid ! En novembre, nous avions eu le temps de nous réunir et de faire les choses dans l’ordre. Impossible en temps de crise sanitaire. C’est elle aussi qui m’a encouragé à ouvrir ce blog.
Petit à petit, je refis surface, lentement mais sûrement.
(*) photo du film, DR